Comme tous les jours, il reste planté là,
à regarder. Le ciel gris déplace sa chape de plomb avec une lenteur délibérée,
essayant de l’assommer d’ennui. Au bout de la rue, sur l’avenue, les voitures,
les mototaxis, les camions passent, inlassables, dans leur ballet vers une
destination inconnue, incompréhensible. Comment peut-on se déplacer autant
alors que lui n’a que besoin de rester planté là, à regarder, à fixer, à s’en
user les yeux, la pupille, puis la rétine.
Comme tous les jours, il reste planté là,
et il voit les sacs poubelle noirs, luisant, se chauffer sous le soleil
inexistant, et pourtant présent, de cet après-midi désolé. Le ciel gris ne
lâchera pas une miette de soleil aujourd’hui. Il le sait ; ce n’est pas
encore la saison. Les voitures passent et vont leur chemin vers des activités
lucratives, brûlant leur gasoil, brûlant leurs pneus, l’asphalte et le bitume
craquelé de la piste. La croisée, le croisement, l’angle : la rue, sa rue.
Pardon : l’Avenue. C’est ainsi qu’elle s’appelle, sa rue. L’Avenida los Rosales. Dans son avenue,
donc, les poubelles sont sorties à pas d’heure, et jetées à même le sol, le
plus souvent sur la route, en tout cas un peu dessus, un peu sur le trottoir,
et gisent languissantes, dans l’attente de la morsure d’un chien errant.
Ah ceux-là ! Les chiens errants. Il
les aime bien, et pas. Ils lui font pitié. Ils sont seuls, abandonnés, ont
perdu leur famille un beau jour gris. Il avait toujours pensé que dans une
société où les chiens en viendraient à être abandonnés massivement, ceux-ci se
rassembleraient en meutes et représenteraient un danger pour l’homme. Il
constate que ce n’est pas le cas. Pop !
Un sac poubelle vient d’éclater sous le croc d’un chien justement. Ça a fait un
bruit de pétard de fin d’année, un petit, mais quand même. Sous l’action de la
morsure et aussi de la fermentation, le sac a explosé. Le chien fouille et
fouraille joyeusement, à la recherche de sa pitance.
Donc non, les chiens ne représentent pas
un danger tant qu’ils n’ont pas la rage. Ils restent généralement amicaux
envers les hommes, et passent leur temps à aboyer plus qu’à mordre. Aboyer
après les motos surtout. Les livreurs de gaz et de pizza sont rarement les
bienvenus. Sans cela, ils ressemblent parfois aux humains. On les voit qui
tiennent dans leur gueule un sac plastique rempli de victuailles. Ils courent,
parfois en groupe et se posent sur un terre plein entre deux pistes, dans
l’herbe, pour manger, comme au piquenique. Il les envie parfois. Il reste là,
lui, planté comme tous les jours, à observer, à scruter, à savourer chaque
petit instant de vie qui s’agite dans sa rue, son avenue, pardon.
Depuis sa chaise, la tête appuyée sur ses
mains, elles-mêmes posées sur sa canne, il attend. Plante, végétal, il voit tout et n’est vu de personne. Il aime sa
croisée, entre Rosales et Nenúfares. Il aime s’ennuyer à regarder
les gens arroser leur bout de terrain devant la façade grillagée-blindée de
leur maison. Il aime le ciel gris au-dessus de sa tête pelée, brûlé, chauve,
roussie. Le poids du ciel sur ses épaules n’est rien, lui, Atlas de sa
rue-avenue, il supporte la vie de son monde. Et ses chiens.